Afghanistan (J2) – Samangan

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Jeudi 7 mars,

Le jour se lève sur la belle Mazâr-e Charîf, un soleil éclatant perce le bout de ma fenêtre et je me réveille subitement après avoir rêvé de colombes m’emportant avec elles …

Mais où suis-je ? Je n’arrive pas à reconnaitre où je suis. Je regarde mon portable, il est 7h du matin. J’ai eu un bref instant sans me rappeler ce que je faisais là. J’ouvre les rideaux, Mazâr-e Charîf s’ouvre à moi et je reconnais la vue que j’ai admirée hier matin en arrivant.

Le petit-déjeuner se passe calmement, les œufs marinés sont vraiment délicieux, j’en reprendrai 2 fois. Et que dire de ces biscuits au sésame ! D’ailleurs le sésame est produit ici en Afghanistan, dans la région d’Hérat à l’ouest du pays, proche de l’Iran. On fait la connaissance d’un Américain. Il nous dit être photographe et de suite j’ai des étoiles dans les yeux en pensant à Steve Mc Curry, mon idole car, comme lui, il était chauve, et que des photographes Américains en Afghanistan ça ne court pas les rues. Je ne lui ai pas demandé son nom de peur de faire la groupie, mais j’apprendrai plus tard qu’il s’appelle Ken Osborne et qu’il réalise un reportage sur les chaussures en Afghanistan. Ne me demandez pas pourquoi, mais après coup je me rappelle avoir constaté différentes variétés de chaussures traditionnelles. On pourrait penser que les Afghans ne s’habillent pas très bien, pourtant ils ont un look assez agréable à observer et propre à l’Asie centrale.

Nous partons en ville, Noor nous réserve une petite surprise. Nous voici arrivés à la poste de Mazâr-e Charîf. Hier, Stewart avait évoqué en rigolant que des amis lui avaient demandé d’envoyer une carte postale. J’avais répliqué en disant que c’était le cas pour moi aussi pensant que ça ne serait pas possible. Au contraire, ce fut possible et une carte est désormais en chemin pour la France. Oui en Afghanistan, il y a aussi une vie économique et sociale au-delà de la guerre. Je ne vous cache pas que je fus aussi surpris par ce petit geste. J’ai reçu cette carte 2 mois plus tard.

9h30 du matin, nous partons dans les provinces de l’est de Mazâr-e Charîf, plus connues sous le nom de Tashkurgan et Samangan. Nous passons par différents checkpoints à la sortie de la ville afin de contrôler la population entrante et sortante. Beaucoup de militaires sont présents sur la route, à patrouiller dans les voitures roulant à toute allure. Les camions gigantesques redescendant de la Pamir Highway bordent la route, pleins à craquer de marchandises. Rien qu’à la vue de leur couleur éclatante, je me laisserais bercer par un voyage au Pakistan à travers les cols à 5 000 mètres où aucune vie humaine ne résiste et où les vallées appellent à méditer.

Cette route que l’on emprunte est celle menant à la capitale, Kaboul. Le guide nous explique qu’il faut faire attention car elle n’est pas très sûre au-delà de la province de Samangan, même pour un Afghan seul. D’ailleurs il est déconseillé de traverser autant de provinces à la cause de l’insécurité. 

Tashkurgan (connu sous son ancien nom de Khulm) était le site du dernier bazar couvert traditionnel du pays : un merveilleux labyrinthe de rues en briques d’argile et de stands qui fait penser au temps de Marco Polo et la Route de la Soie. Le bazar a été rasé pendant la guerre, un autre témoignage triste des récentes destructions infligées à la culture afghane.

Les cartes montrent une route allant de Tashkurgan à Kunduz en direction de l’est, mais cette route n’est pas utilisée, car elle est complètement délabrée et aurait été minée. À la place, tout le trafic se dirige vers le sud. L’autoroute traverse les gorges impressionnantes de Tangi Tashkurgan, où les montagnes se dressent soudainement dans les plaines et enferment la route dans des parois abruptes d’une hauteur de 300 mètres.

Le paysage est montagneux, dévoilant ses falaises ébréchées aux couleurs ocre entre les herbes folles et les arbres en fleurs. La vallée est somptueuse en ce début de printemps. Les arbres laissent pousser leurs jolies fleurs, on se croirait dans un dédale de paysages sans pouvoir deviner véritablement dans quel pays on se situe. Puis d’un coup, surgit une affiche où posent des militaires. La réalité nous rattrape plus vite qu’on ne le pense. Je m’étais évadé dans la steppe ardente des grands chevaux et de leur tchopendoz que Joseph Kessel évoque dans son livre « Les cavaliers », chef d’œuvre de tous les livres que j’ai lu.

En parlant de steppe, nous traversons des rivières sublimes, des champs à perte de vue, des maisons en terre, des routes non goudronnées. Puis sur un pont, nous croisons un enfant, tenant dans ses mains des dizaines de ballons. J’appellerai ces enfants des « balloon-men ». À mes yeux, ils redonnent un peu de couleurs à ce pays en guerre qui n’a vu passer que des armes, des destructions et des bombes. Complètement irréel de voir à quel point un petit instant de ce trajet permet de redonner le sourire et permettre à l’évasion.

Sur la route de Samangan

Nous sommes à Samangan, une ancienne ville située dans une vallée de terres agricoles riches où l’Hindu Kouch rencontre la steppe d’Asie centrale. La ville était déjà ancienne lors de l’arrivée des Arabes et des Mongols car elle était un centre bouddhiste majeur sous les Kushans aux IVe et Ve siècle.

Durant la période médiévale, la ville était une halte pour les caravanes connue sous le nom de Aibak, un nom que de nombreux habitants utilisent encore de nos jours. Samangan tient toujours un marché hebdomadaire important chaque jeudi. Il est réputé pour ses artisans qui fabriquent des instruments de musique traditionnels tels que le dutar (luth à deux cordes) et le zirbaghali (un tambour fabriqué à partir de poterie). Nous sommes un jeudi et malheureusement les contraintes de sécurité nous empêchent d’y aller. Nous nous limitons donc aux vestiges bouddhistes de la ville, le Takht-e-Rostam reposant sur une colline au-dessus de la ville.

Là, se trouvent les restes d’un stupa et d’un monastère bouddhiste. C’est l’un des sites les plus inattendus en Afghanistan. Surplombant Samangan, le stupa offre une vue imprenable sur la vallée. Il est l’une des premières formes de l’architecture bouddhiste visible dans ce pays. Ce qui rend Takht-e-Rostam si inhabituel, c’est qu’au lieu d’être construit, le stupa de 28 mètres a été taillé dans la roche. Il est donc complètement en-dessous du niveau du sol. La tranchée qui entoure le stupa mesure environ 8 mètres de profondeur, ce qui donne une idée de l’ampleur du travail effectué.

Au sommet du stupa se trouve un bâtiment en pierre sculptée, une harmika qui aurait abrité les reliques du site. Un trou est creusé à son sommet pour y placer un parapluie de cérémonie. Depuis la disparition du bouddhisme dans le pays, la légende a surnommé le Takht-e-Rostam – le Trône de Rostam. Un roi légendaire aurait épousé ici Tahmina, fille du roi de Samangan. Le trou du toit aurait contenu le vin pour le festin du mariage. Tahmina a plus tard donné naissance au fils condamné de Rostam, Sohrab.

Stupa de Takht-e-Rostam

Un chemin mène à l’entrée d’un tunnel qui débouche sur le stupa et permet d’en faire le tour dans le sens des aiguilles d’une montre, selon la tradition bouddhiste. Par sa largeur le stupa impressionne. Les Afghans s’amusent à escalader sur la harmika, ce qui, je l’avoue n’est pas simple. Puis on redescend vers la série des 5 grottes creusées dans le rocher. Là, 4 jeunes Afghans jouent au foot. Stewart, le canadien, et moi leur proposons de jouer avec eux. Finalement la compréhension s’est faite assez rapidement et on aura bien passé 15 minutes à s’envoyer le ballon dans tous les sens.

Plus loin, au niveau des grottes, de nombreux impacts de balles nous indique les combats qui ont eu lieu entre les talibans et l’armée afghane. La première grotte a un plafond en forme de dôme de 12 mètres de haut, sculpté avec une énorme fleur de lotus qu’on distingue vaguement, masquée par la suie et les empreintes de chaussures laissées par les talibans.

Il ne reste que quelques traces. La dégradation naturelle, le pillage et pour finir la destruction systématique par les talibans ont eu raison de ces « lieux de méditation où régnaient le culte, la culture. Il nous revient de constamment penser la culture avec la barbarie qui l’accompagne ou travaille à la détruire. Les talibans ont bien perpétré le meurtre des deux grands bouddhas de Bamiyan. Ils se sont acharnés à recouvrir les admirables fresques avec les traces de saleté infamantes de leurs chaussures. Le meurtrier pense d’abord à tuer celui qu’il considère comme son ennemi et auquel, souvent il attribue des pouvoirs exagérés, fantasmés. C’est pareil avec les images. Mais il ne réussit jamais à effacer entièrement la trace même de son geste destructeur, cette trace qui vaut désormais comme le nouveau monument de cette histoire. Il est si facile de pulvériser un corps. Si difficile, cependant, d’effacer un trou1G. Didi-Huberman & P. Convert, Antres-Temps (Ritournelle de Bâmiyân), livre d’artiste, Edition Galerie Eric Dupont, Paris, 2017. » 

Plus loin, une grotte plus large avec deux longues galeries et des plafonds voûtés s’offre à moi. On peut voir des cellules individuelles qui ont été utilisées comme retraite pour la méditation. La lumière filtrant à travers les fenêtres sculptées lui confère une atmosphère sereine. La troisième grotte est la plus grande et la plus belle en matière d’ornements. Une antichambre mène dans une immense salle carrée, couverte d’un dôme. Chaque mur est pourvu d’une niche qui aurait contenu une statue de Bouddha et surmontée d’une colonne sculptée. Dans les angles de la pièce, des arches sculptées supportent le grand dôme, comme dans une mosquée moderne. Un oculus dans le plafond baigne la pièce d’une lumière douce. Lieux chargés d’histoires, dévastés par d’effroyables guerres.

C’est le moment de reprendre des forces, nous nous rendons dans un restaurant au centre de la ville de Samangan. Nous goûtons aux plats locaux mais surtout à la viande grillée au barbecue (agneau principalement). C’est délicieux. Dans ce petit restaurant je mange mon meilleur pain de tout le séjour. La nourriture afghane mérite à elle seule le voyage. J’espère arriver à cuisiner un bon kabuli une fois de retour à la maison. Il ne me manque que les épices que je pourrai trouver plus tard.

Durant notre repas, nous avons été interrompus par une information à la télévision. En effet, une attaque venait de se faire contre un rassemblement politique à Kaboul, revendiquée par l’État Islamique. Tout cela s’est passé en direct à la télévision. L’attaque aura fait 3 morts. Une piqûre de rappel nous montrant que tout ceci peut arriver à n’importe quel moment. Mais je me rassure grâce à Noor, ses connaissances et ses amis qui sillonnent le pays et nous avertissent, interdisent et évitent tout rassemblement, manifestations ou attroupement de foule. A partir de ce moment-là, on ne craint pas plus qu’ailleurs. Je le dis là mais je le redirai à la fin, je ne me serais pas senti une seule seconde en insécurité durant ce voyage. Bien au contraire ce n’aura été que des moments de joie, de surprises ou d’émotions. Mais il faut être conscient de la situation du pays, ne pas fermer les yeux et continuer à prendre les précautions pour éviter les risques. Il y a 2 ans, 6 touristes sont morts après une attaque de roquettes par les talibans.

Sur le chemin pour revenir à Mazâr-e Charîf, nous voulions nous arrêter au tank que nous avions vu sur le bord de la route à l’aller. Mais étant donné que l’endroit est à côté d’un checkpoint, Noor décide de nous amener à un autre tank.

Il s’agit d’un tank soviétique, placé devant les remparts du palace où venait le dernier roi d’Afghanistan Zahir Shah de 1933 à 1973 pour passer ses vacances. Il a été détrôné par son cousin, le premier président d’Afghanistan Mohammad Daoud Khan lors d’un coup d’État le 17 juillet 1973. Ceci mit fin à la liberté politique de la période constitutionnelle instaurée par Zahir Shah dans ses dernières années d’exercice du pouvoir. En effet, Mohammad Daoud Khan était la cible principale d’une loi constitutionnelle empêchant tout membre de la famille royale d’exercer un poste militaire et politique après avoir été lui-même premier ministre de 1953 à 1963 en prenant le pouvoir d’un de ses oncles par un coup d’État. Avec le soutien de l’armée soviétique, il prit le contrôle du pays le 17 juillet 1973, proclamant la république et s’autoproclamant président d’Afghanistan. Il se fera assassiner en avril 1978 durant la révolution de Saur.

Vestiges d'un tank soviétique devant les remparts du palais Jahan Nama

Situé dans la banlieue sud de Kholm, près de l’autoroute reliant Kaboul à Mazâr-e Charîf, le palais a été construit entre 1890 et 1892 par Amir Abdur Rahman. Le palais Jahan Nama a été restauré et rénové entre 1974 et 1976 par le président Daoud Khan. Le projet était de transformer le palais en musée. Malheureusement en 1976, un tremblement de terre causant de graves dommages empêcha la mise en œuvre de cette idée. Au cours des périodes de conflit et de guerre civile qui ont suivi, le palais et son jardin ont été gravement abimés et négligés.

Le jardin du palais a été nettoyé des traces de la guerre et on peut voir les vestiges des aires de jeux pour les enfants encore en l’état. Je trouve les couleurs du palais magnifiques, son reflet sur le réservoir est splendide. Ce palais ne se visite pas. Mais j’ai demandé au guide si c’était possible d’aller parler au garde et de lui demander de le visiter. Ce qu’il a accepté. Nous allons donc visiter le palais et voir ce qu’il en reste.

Visiblement, il n’en reste rien. Tout a été saccagé, et emporté. On peut voir à travers les carreaux de la fenêtre deux Afghans qui sont venus là pour faire des photos. Un peu comme si on plongeait dans le passé et ses moments de tristesse, et qu’on regardait le futur rempli de joie, de choses positives et optimistes. Saisissant.

On se promène dans le jardin, faisant des photos grâce aux belles couleurs mordorées que nous offre le soleil sur les murs de terre, les remparts arrondis et les fenêtres ouvertes sur la vie ravagée, entre tank démoli et détritus disséminés un peu partout.

J’apprendrai ici que Noor a appris à parler pachto, le langage des Pachtounes (peuple fondateur de l’Afghanistan moderne) dans la province d’Helmand, au sud-est de l’Afghanistan. Il s’est réfugié là-bas avec sa famille quand les talibans se situant à l’ouest sont arrivés au nord, à Mazâr-e Charîf. Il a quitté son travail d’ingénieur qui lui plaisait énormément et qui lui rapportait beaucoup en 2007 pour devenir guide. Cela le rendait triste d’entendre parler de l’Afghanistan, son pays, uniquement à travers le prisme de la guerre, et qu’il n’y avait rien de beau à voir, ni à entendre si ce n’était la guerre. C’est ce qui l’a poussé à travailler en tant que guide pour montrer une autre image de ce pays. C’est également la raison pour laquelle je suis venu là.

Sur le chemin du retour, nous passons par différents checkpoints sur la route. Qui dit checkpoints, dit que nous devons sortir du véhicule, passer dans des baraquements, se faire fouiller vraiment brièvement et sortir de l’autre côté pour remonter dans le véhicule. Et ainsi de suite. Ce qui est surprenant, c’est que le chauffeur du véhicule roule jusqu’à l’arrivée où il doit nous attendre mais que le véhicule n’est pas fouillé …

Arrivé à l’hôtel, nous dînons le mantu, un type de boulette populaire dans la plupart des cuisines turques, ainsi que dans les cuisines du Caucase du Sud, de l’Asie centrale, plus largement de l’Afghanistan et des musulmans chinois. Les mantus sont préparés à partir de bœuf ou d’agneau mélangés à des oignons émincés et des épices. Ils sont cuits à la vapeur puis nappés d’une sauce très typique à base de yaourt à l’ail, de jus de citron, de menthe séchée et d’ail haché ou pressé. Les mantus sont généralement garnis d’une très petite quantité de sauce à base de tomate, qui peut comprendre des pois cassés, des haricots rouges et de la viande hachée. Pour ce soir ce sera pois chiches. Un délice, je vous l’ai déjà dit non ?

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