Afghanistan (J3) – Bouzkachi

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Vendredi 8 mars,

Un nouveau jour se lève sur Mazâr-e Charîf et c’est la journée que j’attendais le plus. Aujourd’hui, c’est le jour du bouzkachi ! Ce sport qui me passionne et me fascine depuis ma plus tendre enfance.

Nous devions aller à Balkh pour visiter un bazar et une mosquée. Malheureusement, il y a une commémoration du leader Hazara et depuis notre arrivée en Afghanistan, nous devons éviter les rassemblements et les foules pour notre sécurité. De plus, la route est barricadée par des dizaines de checkpoints et de militaires. Nous échangeons cette journée avec celle de demain et allons visiter d’autres endroits. Nous partons donc au nord, à la frontière avec l’Ouzbékistan afin d’admirer le pont de l’Amitié Afghanistan-Ouzbékistan qui marque la frontière entre ces deux pays.

Il y a plus d’un siècle, à la place du pont de l’Amitié, un pont d’abord en bois puis en fer traversait l’Amou-Daria, un long fleuve d’Asie centrale qui prend sa source dans les montagnes du Pamir et traverse l’Hindou Kouch avant de se jeter dans la mer d’Aral. Le premier pont en bois fut construit sous la supervision du général de l’armée tsariste russe M. Annenkov en mai 1888, alors que la Russie tsariste commençait à peine à s’étendre en Asie centrale. À cette époque, la ligne du chemin de fer transcaspien (voie de chemin de fer entre le Turkménistan et l’Ouzbékistan) était en cours de construction et il était absolument nécessaire de traverser le fleuve Amou-Daria. Le pont ferroviaire s’étendait sur près de trois kilomètres. Il a été annoncé comme le plus grand exploit d’ingénierie de cette époque. Hélas, le pont a été opérationnel seulement 14 ans. En raison du rapide débit de la rivière et du fond sableux, le pont en bois s’est effondré dans les années 1900.

Un nouveau pont fut construit en 1981 par l’URSS durant la guerre d’Afghanistan (1979-1989) qui a vu s’affronter l’URSS et les moudjahidines (dans l’Islam, ce sont des combattants qui s’engagent dans le djihad). En 1989, le retrait partiel des troupes soviétiques d’Afghanistan a débuté via ce nouveau pont et il a été symboliquement appelé le pont de l’Amitié, exprimant l’espoir d’une fin rapide de la guerre et de l’établissement de relations amicales entre les deux nations. Franchissant l’Amou-Daria, il relie la ville de Hairatan dans la province de Balkh en Afghanistan à la ville de Termez en Ouzbékistan.

Pont de l’Amitié Afghanistan-Ouzbékistan

Symbole des relations afghanes et ouzbeks, ce pont est le seul point de passage de la frontière entre ces deux pays. Le prochain pont se trouve à plus de 110 kilomètres à l’ouest, dans la ville de Kelif et permet le passage de la frontière entre le Turkménistan et l’Afghanistan. En 1998, lorsque les talibans ont envahi et attaqué Mazâr-e Charîf, le pont fut fermé par l’Ouzbékistan craignant une propagation des troubles et de la guerre dans ce pays. Il fut réouvert le 9 décembre 2001.

Actuellement il est impossible d’aller dessus pour prendre des photos ou se promener. Mais si nous souhaitons quitter le pays pour arriver en Ouzbékistan, son accès est alors autorisé moyennant des contrôles de sortie de territoire plus poussés car la région est connue pour le trafic de l’opium et diverses drogues. Une voie de chemin de fer passe actuellement sur le pont. Elle a été inaugurée en 2015 afin de prolonger le chemin de fer jusqu’à la ville de Mazâr-e Charîf se situant à une centaine de kilomètres dans le sud-ouest.

La vue depuis le bord de l’Amou-Daria est belle, l’endroit est reposant. Beaucoup d’Afghans viennent pour y faire des photos. Ce pont est symbolique pour eux, marquant la fin d’une terrible guerre et le début de nouvelles relations avec un pays voisin. J’apprends que le Tadjikistan fournit l’électricité aux provinces du nord de l’Afghanistan faisant d’un des pays les plus pauvres, un pays en développement constant depuis quelques années. De même l’Ouzbékistan vend l’électricité à la province de Balkh du nord de l’Afghanistan. Autrement dit, les Afghans ne produisent pas leur propre électricité dans cette région du monde. Le pétrole aussi vient d’Ouzbékistan.

En partant de là, je vois sur un mur de la voie ferrée, une phrase écrite en anglais qui m’a beaucoup touché mais que je n’ai malheureusement pas eu le temps de prendre en photo. Elle aurait résumé ce voyage à elle seule, elle dit : You promise me the sky, but you just give me a stone autrement dit « Tu me promets le ciel, mais tu me donnes juste une pierre ». Saisissant et poignant. Je me demande même si je dois le prendre pour moi.

Sur le chemin du retour vers Mazâr-e Charîf pour déjeuner et assister au bouzkachi, nous traversons un désert. Moi et les déserts, c’est une belle et grande histoire. Si je pouvais passer des jours entiers (avec un peu d’ombre) dans un désert je le ferais sans hésiter … Des vagues de sable paralysées, des montagnes ignorées : le désert me fascine. Un lieu de lenteur et d’introspection.

Désert sur le chemin du retour vers Mazâr-e Charîf

Je passe beaucoup de temps à faire des photos, m’amuser, courir et juste profiter de ce moment. Un peu plus loin on s’arrête à un tank, à côté duquel nous pouvons trouver des douilles. Ce tank vient d’URSS et date des années 1980 durant la guerre d’Afghanistan citée plus haut.

Il est l’heure de prendre des forces avant d’aller voir le bouzkachi. Aujourd’hui, nous avons un mélange de tous les différents plats locaux que propose l’Afghanistan : kebab, agneau grillé, kabuli, maicha et mantu. Un délice, encore et toujours.

Vient le moment tant attendu de ce voyage. Nous partons à 14h au terrain du bouzkachi situé aux abords de la ville. Le bouzkachi traditionnel se joue dans les plaines du nord de l’Afghanistan entre les labours d’automne et les semailles de printemps et Mazâr-e Charîf accueille le plus grand du pays, chaque Norouz, le nouvel an du calendrier persan. Mais le bouzkachi avait été interdit par les talibans. Ce n’est que dernièrement qu’il fut réintroduit dans la culture, raison pour laquelle je suis venu visiter ce pays. Beaucoup de monde est présent tout autour du terrain et je peux voir des centaines de chevaux.

J’entre à peine sur le terrain que des chevaux foncent sur moi avec la balle, faisant le tour du drapeau pour aller marquer le but. J’ai la chance inouïe de prendre ce moment en vidéo et il sera un de mes plus grands moments personnels de la journée. Mais en parlant d’une balle, la voyez-vous ?

« Les règles sont les suivantes. On choisit dans le troupeau un bouc. On l’égorge. On lui tranche la tête. Pour alourdir sa dépouille, on la bourre de sable, on la gonfle d’eau. On la dépose dans un trou si peu creusé que la toison affleure le sol. Non loin du trou un petit cercle est tracé à la chaux vive. Et il porte le nom de hallal qui, dans la langue turkmène veut dire : cercle de justice. Et sur la droite du hallal, on plante dans la steppe un mât. Et sur sa gauche, un autre. À égale distance. Pour la longueur de cette distance, il n’y a pas de règle. Elle peut exiger une heure de galop ou bien trois ou bien cinq. Les juges de chaque bouzkachi en décident à leur gré1Joseph Kessel, “Les cavaliers”, éditions Folio, Paris, 1982, p.35. (Édition originale 1967). »

« Le nombre de cavaliers varie lui aussi. Parfois dix, parfois cinquante, parfois des centaines. Tous, au signal d’un juge, se jettent sur la carcasse décapitée. L’un d’eux s’en saisit, s’échappe. Et, poursuivi, il s’élance vers le mât sur la droite. Car la dépouille du bouc doit en faire le tour, puis passer derrière le mât placé sur la gauche, et enfin arriver jusqu’au hallal. Et sera désigné vainqueur celui dont le bras aura jeté le bouc sans tête au milieu du cercle blanc. Mais avant cette victoire, que de combats, de chasses, d’accrochages, de fuites et de mêlées nouvelles! Tous les coups sont permis. Et d’heure en heure, de paume en paume, de selle en selle, la carcasse décapitée passe autour des deux mâts, prend le chemin du but. Enfin, l’un des joueurs s’en empare, évite ou renverse ses derniers adversaires, galope, la dépouille au poing, se place au centre du cercle tracé à la chaux, brandit ce qui reste du bouc et la foule scande alors “Hallal”2Joseph Kessel, “Les cavaliers”, éditions Folio, Paris, 1982, p.35. (Édition originale 1967). »

Le bouzkachi, sport national d'Afghanistan

Le bouzkachi est l’un des plus anciens jeux des peuples d’Asie centrale et rappelle le polo et le rugby. Signifiant littéralement « l’accaparement des chèvres », aucun sport ne représente plus l’esprit afghan que le bouzkachi, souvent cité comme une métaphore de la société et de la politique afghane. La probabilité de voir un match n’est pas aussi évidente qu’on nous le fait penser.

Seuls les tchopendoz ont la chance de manœuvrer le bouc depuis leur monture, le contrôle magistral de leurs chevaux est très prisé – « mieux vaut un mauvais cavalier sur un bon cheval qu’un bon cavalier sur un mauvais cheval ». Il se dit que les chevaux sont les meilleurs et les plus puissants du monde, et ont été entrainés pour ce sport qui demande de la force, de l’intelligence et beaucoup de prise de risque.

Durant les quatre heures que j’ai passées à regarder ce sport, j’ai scruté chaque recoin du terrain, quasiment tous les chevaux et les cavaliers pour accumuler le plus de souvenirs et me rappeler de tous ces livres que j’ai lu quand j’étais enfant. Merci Joseph Kessel, Sabrina et Roland Michaud, G. Whitney Azoy de m’avoir fait découvrir dans ce sport des histoires, des récits et des souvenirs que je garderai toute ma vie. J’ai une fois de plus réalisé un de mes rêves, et celui-là ne fut pas simple à aller chercher.

J’achète un fouet sur le terrain que les vendeurs ambulants vendent aux cavaliers au cas où le leur serait cassé. Le vendeur Afghan est surpris que je lui en demande un. J’ai fait un heureux à lui acheter cet objet, et moi je suis le second heureux, à ramener un souvenir de ce sport qui me passionne.

Nous partons en plein bouzkachi car nous devons rentrer à l’hôtel avant que la nuit tombe. Le temps de trier les photos, de m’en remettre émotionnellement, il est déjà 19h, l’heure de dîner. Ce soir ce sera du bolani, un pain plat afghan, cuit au four ou frit avec une garniture de légumes, de patates ou d’autres délices tels que des lentilles ou du potiron. Le bolani est servi avec du yaourt nature ou à la menthe dans lequel on le trempe. Nous avons même des mantus comme ceux que nous avions eu hier soir. Je n’ai jamais visité un pays où tous les plats de façon unanime me plaisent tous. La journée se termine calmement, après tant d’émotions !

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