Afghanistan (J4) – Balkh & Mazâr-e Charîf

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Samedi 9 mars,

Un jour de plus en Afghanistan, le soleil se lève comme à son habitude. Aujourd’hui nous allons visiter la célèbre ville de Balkh.

Balkh a tout l’air d’une petite ville de marché avec des dizaines de stands et de boutiques. Pourtant, autrefois Balkh était d’une renommée telle que les Arabes la surnommaient la « Mère des cités ». Balkh est probablement la plus ancienne ville du pays et aucune autre ville en Afghanistan n’a une histoire aussi glorieuse. Selon certaines traditions islamiques, Balkh aurait été fondée par Noé après le grand déluge, mais il est préférable de lui attribuer le lieu de naissance de Zoroastre, prophète et fondateur d’une des premières religions monothéistes au monde (le Zoroastrisme) et dont la date de naissance est encore floue (les estimations le font naître autour du VIe siècle avant J.-C.). La ville de Balkh (antique Bactres de la province de Bactriane) était suffisamment établie pour constituer une satrapie (une division administrative de l’empire achéménide) au moment où Alexandre le Grand s’attaqua aux Perses deux siècles plus tard.

Nous nous dirigeons vers la mosquée Noh Gonbad. On pense que cette mosquée en ruine du IXe siècle est la plus ancienne d’Afghanistan. Le nom fait référence à sa structure à neuf dômes, une conception inhabituelle rarement rencontrée dans l’architecture islamique. Elle est également connue localement sous le nom de Masjid-e Haji Piyada (« Mosquée du pèlerin ambulant ») car les pèlerins partaient de cette mosquée en caravane pour arriver jusqu’à La Mecque, six à sept mois plus tard.

Mosquée Noh Gonbad à Balkh

Aujourd’hui, il ne reste guère que les piliers et les arcades de la mosquée. La décoration est recouverte d’arabesques et de dessins géométriques abstraits. C’est splendide. J’essaie de les prendre en photo mais je dois jouer de multiples contorsions pour passer à travers les mailles du grillage. En effet, l’ensemble du site est en rénovation, entièrement recouvert d’un hangar en métal depuis 2001 car la pluie tombait et effritait tout le site. Les différentes guerres du pays ont aussi abimé cette mosquée. Les ouvriers ne travaillant que deux mois par an, Noor ne voit que très peu de progrès.

Balkh fut le théâtre de la dernière confrontation de la Perse contre les Grecs avant de servir de base pour les campagnes d’Alexandre le Grand en Asie centrale. Il épousa Roxane ici-même, ajoutant du sang afghan à sa lignée royale et proclamant sa propre divinité.

Nous partons ensuite aux remparts de la forteresse de Bala Hissar qui montait autrefois la garde au nord de Balkh. Le fort actuel a été construit par les Timurides au XVe siècle sur le site d’une citadelle plus ancienne. La brique délabrée et érodée de boue confère au lieu une atmosphère beaucoup plus ancienne. Il est difficile d’imaginer que ce fut le lieu du festin de mariage d’Alexandre le Grand et de Roxane mais ça l’est encore plus de savoir que les défenseurs du fort ont été balayés par les hordes de Gengis Khan.

Remparts de la forteresse de Bala Hissar à Balkh

Le fort est situé dans un paysage lunaire inégal, parsemé de trous de voleurs creusés par des habitants à la recherche d’un trésor. Encore aujourd’hui, les agriculteurs creusent chaque hiver dans la région, espérant trouver de vieilles perles de verre ou des pièces de monnaie gréco-bactriennes qu’ils pourront vendre à Mazâr-e Charîf pour compléter leurs maigres revenus.

Les remparts offrent une vue intéressante sur Balkh, avec ses parcelles d’habitations murées. Il est surprenant de voir à quel point la ville est verdoyante dans cette région désertique. Le dôme imposant du tombeau de Khoja Abu Nasr Parsa que nous visiterons tout à l’heure est à peine visible à travers les cimes des arbres du parc. En redescendant je vois des centaines de bracelets cassés devant une tombe. C’est un genre de rituel que les femmes suivent pour exaucer leurs rêves. En bas des remparts, au niveau d’une toute petite maison, Noor me dit que c’est l’endroit où les Afghans fument un des haschich les plus puissants du monde.

Après Alexandre le Grand, Balkh fut le centre d’une succession de dynasties gréco-bactriennes qui dominèrent la région jusqu’à ce qu’elles tombent sous le joug des Kushans en 129 avant J.-C. Balkh a tellement prospéré comme étape de la nouvelle route de la soie que ses habitants se sont tournés vers le bouddhisme. Lorsque les Arabes ont amené l’islam en Afghanistan à la fin du VIIe siècle, Balkh était déjà riche. Après eux, les Boukhariens (peuple tartare originaires de la Boukharie, ancien nom de l’Ouzbékistan) l’ont dotée de belles mosquées et de somptueux palais. La ville jouissait de la réputation d’être l’un des plus grands centres du savoir islamique.

Direction le centre-ville de Balkh au tombeau de Khoja Abu Nasr Parsa. Se dressant fièrement dans le plus grand parc de Balkh, ce sanctuaire est un exemple classique de l’architecture timuride, ainsi qu’un symbole de l’épanouissement final de Balkh avant qu’elle sombre dans un déclin permanent. Il a été construit dans les années 1460 et est dédié à un célèbre théologien de la cour du sultan Baiqara qui s’était retiré à Balkh. Le sanctuaire est dominé par son monumental portail d’entrée, encadré de piliers torsadés et décorés de mosaïques bleues. Derrière la façade, on peut distinguer les socles de deux minarets qui se tenaient de chaque côté. Une madrassa (école coranique) moderne est adossée à la droite du sanctuaire.

Tombeau de Khoja Abu Nasr Parsa à Balkh

Le tombeau a été endommagé par un tremblement de terre dans les années 1990 mais son dôme a récemment été réparé. Bien qu’une grande partie de la tuile soit endommagée, le bâtiment dans son ensemble reste assez stupéfiant. La porte principale paraît si gigantesque que je distingue mal les Afghans assis juste devant. Nous nous approchons d’eux pour faire leur rencontre et prendre des photos. Ils sont surpris de notre guide Lonely Planet sur l’Afghanistan, ce qui suscite bien des commentaires et des interrogations de leur part. Ce fut un beau moment d’échanges.

Devant ce sanctuaire, se trouve le tombeau en briques de Rabi’a Balkhi, une poétesse du IXe siècle qui vécut à Balkh. Elle est considérée comme la première et la plus grande femme à avoir écrit de la poésie en persan. Ses vers sont lus pour leurs nuances mystiques et souvent érotiques. Rabi’a Balkhi est tombée amoureuse de son esclave et a été punie par son frère qui l’emprisonna dans un cachot. Elle s’ouvrit les veines et écrivit avec son propre sang sur les murs de la prison son poème le plus célèbre : un testament amer à l’amour condamné. La tombe a été redécouverte en 1964 et constitue un lieu de visite prisé des jeunes femmes aux aspirations romantiques.

De l’autre côté du parc, en grande partie cachée par des arbres, se trouve une arche impressionnante, tout ce qui reste de la madrassa du XVIIe siècle de Sayid Subhna Quli Khan. On y voit encore des traces de carrelage d’influence timuride bleu à l’intérieur.

À la sortie de la ville, nous montons rejoindre un belvédère depuis les remparts de la vieille ville de Balkh. D’ici, la vue est vraiment belle. À l’image de ce que j’imaginais en venant en Afghanistan.

Rumi, l’un des saints soufis les plus célèbres, est né à Balkh, qu’il a fui plus tard à la suite de l’invasion mongole de 1220 dirigée par Gengis Khan. Lors de son passage cinquante ans plus tard, le vénitien Marco Polo trouvait la ville « ravagée et ruinée ». Depuis, Balkh n’a jamais recouvré sa gloire passée qui a décliné au fur et à mesure de la prospérité croissante de Mazâr-e Charîf à proximité. Balkh lutta pendant des siècles jusqu’à ce que le choléra et le paludisme forcent ses habitants à un exode à grande échelle au milieu du XIXe siècle.

Il est l’heure de retourner à Mazâr-e Charîf pour aller savourer les excellents repas locaux. Pour le déjeuner nous avons de la viande grillée, du kebab et un bon kabuli. Tout en mangeant, j’ai appris la signification des couleurs du drapeau afghan. Le noir évoque le passé lorsque le pays était indépendant au XIXe siècle, le rouge la lutte pour cette indépendance et le vert pour sa réussite. Mais aussi d’un autre point de vue, le noir pour son passé de guerres incessantes, le rouge à cause de tout le sang versé et le vert car le pays est en train de se développer.

Dans l’après-midi nous sommes retournés à la somptueuse grande mosquée bleue de Hazrat Ali. Sous un soleil radieux, les couleurs resplendissantes de la grande mosquée jaillissent de mille feux. Elle est plus brillante que jamais, tel un diamant dans cette ville où toutes les routes mènent à son centre.

Mosquée bleue de Hazrat Ali à Mazâr-e Charîf

J’ai beaucoup profité de ces derniers instants en Afghanistan devant ce monument et me suis promis d’y revenir afin de voir le site des grands bouddhas de Bamiyan et le parc national de Band-e Amir. Deux merveilles du pays ; la première est une prouesse de la main de l’homme, l’autre produite par la nature. J’ai pour projet de faire un trek dans le corridor du Wakhan d’une durée de 14 jours. Cela dépendra bien évidemment de l’obtention du visa et des permis nécessaires pour sillonner ce long couloir de 200 kilomètres de long pour 20 kilomètres de large entre des montagnes hautes de 4000 à 6000 mètres d’altitude.

Nous finissons la journée par une balade dans un marché pour ramener des souvenirs. Je trouve tout ce dont j’ai besoin même si ce n’est pas aussi facile que je l’espérais. On dîne une dernière fois un délicieux kabuli avant de se quitter. Nous discutons un peu et je pars dans les bras de Morphée, attristé de devoir rentrer en France. Je n’ai ressenti cette sensation que très rarement. Ce voyage sera inoubliable, même si j’ai la sensation de ne pas être resté aussi longtemps que je le voulais. L’objectif de ce voyage était d’assister à un bouzkachi. J’en reviens comblé.

              Dimanche 10 mars, 

 

Je me lève très tôt pour prendre l’unique vol journalier afin de quitter le pays à 7h50. Nous avons des dizaines de checkpoints à passer pour faire scanner les bagages par des gardes armés et des chiens renifleurs. Au moins une heure trente ont été nécessaires pour passer tous ces contrôles avant que je m’installe dans l’avion qui m’amène à Istanbul. J’arrive à Istanbul avec du retard, je dois donc courir dans l’aéroport pour rejoindre ma correspondance pour Paris. Évidemment, tout l’équipage m’attend mais à ma plus grande surprise on me change de siège : pour la première fois de ma vie je suis surclassé, je vais voler en classe affaire ! J’ai beaucoup de chance. On décolle d’Istanbul mais au bout de 40 minutes, l’avion indique « temps avant destination : 37 minutes ». L’avion a un problème technique et il faut retourner vers Istanbul. Nous changeons d’avion et repartons vers Paris. Un vrai périple. Merci Turkish Airlines pour la classe affaire !

Ce dernier paragraphe clôt mon périple en Afghanistan où j’ai passé une magnifique semaine grâce à des inconnus, devenus des amis, à la fois exceptionnels et avec qui s’est créée une grande complicité. Voyager en Afghanistan demande beaucoup de préparation, aussi bien pour le visa que mentalement pour se préparer à voyager dans un pays insécure où les actes terroristes se multiplient de jour en jour. Ce voyage était contrôlé, autant que cela fut possible par une organisation impeccable et millimétrée jour par jour. Sortir de sa zone de confort dans un pays insécure veut dire que l’on doit accepter de vivre avec cette peur d’être victime de n’importe quelle attaque.

Ce voyage en Afghanistan se place dans mon objectif de visiter tous les pays du monde, où en effet il y aura forcément à un moment donné des pays qui seront difficiles d’accès. Durant ce voyage je n’ai pas ressenti une seule seconde d’insécurité, je n’ai jamais eu peur et je ne me suis jamais senti mal, oppressé ou dépassé. Au contraire, je me suis souvent senti visé par des sourires insouciants et curieux, heureux de pouvoir voyager dans un pays qu’à peine un millier de personnes visitent chaque année et content de voir cette population venir à notre rencontre, que ce soit pour faire des photos ou pour nous demander nos origines.

Lorsqu’on me pose la question s’il faut aller dans ce pays, ma réponse est oui, pour soutenir l’économie locale, pour permettre à ces guides touristiques et ces marchands ambulants de gagner honnêtement leur vie, et pour découvrir les magnifiques paysages, les bien culturels et religieux de ce pays si envoûtant. Mais, entre attentats et prises d’otage, c’est un pays qui reste très instable et qui ne se visite pas sans préparation logistique et psychologique. C’est aussi pour cette raison que l’obtention du visa nécessite des lettres d’invitations et des contacts locaux.

Merci cher Afghanistan pour tous ces bons moments. Je t’en suis extrêmement reconnaissant. À bientôt.

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